mercredi 24 novembre 2010

Le Kazakhstan, une puissance caspienne et régionale en devenir.


Novembre a été un mois d'intense activité diplomatique autour de la mer Caspienne. Les pays riverains (Russie, Kazakhstan, Turkménistan, Azerbaïdjan et Iran) se sont réunis à plusieurs reprises afin d'examiner plusieurs questions relatives à la sécurité et au statut de la Caspienne, sans que cela ne permette d'aboutir sur un consensus. En effet, la définition de cette étendue d'eau (lac ou mer intérieure) a de profondes implications en matière de partage des richesses gazières et pétrolières dont elle regorge.

La Mer Caspienne, une pomme de discorde gorgée de richesses gazières

La mer Caspienne recèle d'importantes ressources pétrolières et gazières, notamment le gisement géant de Kashagan, exploité par le Kazakhstan. Cependant, le moins que l'on puisse dire est que les ressources sont très inégalement distribuées. En effet, les principaux gisements exploitables se situent au nord de la Caspienne, où les fonds marins sont nettement moins profonds qu'au large de l'Iran. Cela explique les nombreux projets d'exploitation énergétique off-shore mis en avant par le Kazakhstan, et dans une certaine mesure, la Russie. A l'inverse, l'Iran n'a pas à ce jour entamé de projet significatif, et tente de faire accepter par les autres États riverains un changement de statut de la mer Caspienne.

Faute de mieux, la mer Caspienne est aujourd'hui considérée de facto comme une mer intérieure, et non un lac. Les États riverains jouissent donc d'une exclusivité économique le long de leurs côtes, mais les fonds marins situés au delà des zones économiques exclusives (ZEE) sont laissés à la merci du premier exploitant venu. Dans la situation actuelle, la Russie et le Kazakhstan (qui ont à la fois les secteurs les plus facilement exploitables et les capacités techniques de le faire) récupèrent la part du lion, alors que l'Iran, trop éloigné, doit se contenter des perspectives très incertaines offertes par les fonds marins (très profonds) situés près de ses côtes. C'est pourquoi Téhéran considère la mer Caspienne comme un lac, et promeut un plan de partage qui, faute de lui octroyer des droits sur les gisements actuels, permettrait au moins d'accroitre notablement un potentiel économique marin de facto limité par son niveau technologique actuel (l'exploitation des fosses océaniques n'étant pas chose aisée).

Quoique la joute soit jusqu'à présent limitée au domaine verbal, les ambitions du voisin iranien, sa défiance vis-à-vis des Occidentaux par rapport à son programme nucléaire et son passé maritime chargé ont poussé certains de ses voisins, en particulier le Kazakhstan, à prendre des mesures pour protéger leurs intérêts en mer Caspienne. Et ceci d'autant plus que, loin de bloquer l'exploitation, l'absence de consensus quand au statut de la Caspienne a au contraire poussé les différents États à agir comme si leurs revendications respectives avaient force de loi.

Les ressources gazières de la mer Caspienne. Les limites territoriales
en mer correspondent au plan de partage soutenu par l'Iran.
Source : http://www.payvand.com/

Le Kazakhstan, une puissance maritime et régionale qui s'affirme

Parmi les États bordant la mer, le Kazakhstan est probablement celui ayant le plus d'intérêts à défendre, ainsi que les moyens de le faire. Par ailleurs, fort d'une économie solide tirée par la hausse du cours des matières premières dont il dispose en abondance, il entend bien devenir la puissance dominante en Asie Centrale.

Le développement des marines de guerre reste limité en mer Caspienne, la Russie restant quoiqu'il arrive puissance navale dominante. Cependant, l'effort entrepris par le Kazakhstan en la matière n'est pas anodin. A l'heure actuelle, Astana ne dispose que d'une force de gardes-côtes, ayant une capacité d'action de l'ordre de 25 km. La mise sur pieds d'une marine de guerre ayant des capacités hauturières (150 km) lui permettrait de protéger ses exploitations off-shore. Officiellement, cet outil militaire nouveau est dirigé contre les acteurs terroristes. Mais le format envisagé laisse entendre qu'il pourrait également servir à tenir Téhéran en respect. Pour information l'Iran revendique pas moins du cinquième de la mer, a récemment accru ses forces navales dans la région et n'a pas hésité, en 2001, à dérouter un navire de prospection qui était sorti de la zone qu'il considère sous souveraineté de l'Azerbaïdjan.

Le Kazakhstan a donc commencé à envoyer des officiers se former à l'étranger (principalement en Russie et en Turquie, mais également dans des pays de l'OTAN). Il a également entamé la construction d'une base navale à Aktau, et effectué plusieurs importantes commandes d'armement. Outre une série de patrouilleurs construits par les Russes, Astana envisage d'acheter trois corvettes à STX (consortium franco-coréen). Les corvettes en question devant être équipées de missiles Exocet, conçus pour la destruction de navires de surface, il est peu probables qu'elles ne servent qu'à la lutte antiterroriste.

Le réarmement du Kazakhstan, entre impératif politique et nécessité pratique

Le Kazakhstan affirme son statut de puissance maritime sur la Caspienne, tout comme il tente de le faire dans d'autres domaines. Astana est en effet engagée dans une offensive diplomatique tous azimuts qui cherche, tout en maintenant des relations privilégiées avec la Russie, à affirmer une certaine indépendance en nouant des partenariats privilégiés avec des acteurs extérieurs à la CEI, comme l'Union Européenne. Fort de son nouveau statut, confirmé par sa présidence de l'OSCE, le Kazakhstan entend également devenir une puissance militaire d'envergure, quitte à diversifier ses fournisseurs, comme on a pu le voir lors de l'exposition KADEX plus tôt cette année.

L'accroissement des capacités militaires du Kazakhstan n'est pas uniquement une affaire de statut. Le retrait prévisible de l'OTAN d'Afghanistan à l'horizon 2014 n'ira pas sans poser de graves problèmes d'insécurité. Le gouvernement Afghan ne semble pas capable, à l'heure actuelle, de juguler une instabilité qui se propage déjà à l'ensemble de la région. Alors que le trafic de drogue connaît des jours fastes, les combattants islamistes étendent aujourd'hui leur lutte au nord immédiat de l'Afghanistan (Tadjikistan), et pourraient à terme s'attaquer aux régions ouzbèkes, sensibles au message de l'Islam conservateur (comme en témoigne l'audience du Hizb-ut-Tahrir dans la vallée du Ferghana).

Doté d'importantes ressources, le Kazakhstan devra aussi faire face à d'importants défis sécuritaires, confortant par là son rôle de sentinelle aux marges de la Russie. Bientôt intégrée dans une union douanière regroupant l'essentiel des anciens États soviétiques, le Kazakhstan constituera alors la dernière ligne de défense face aux flux d'héroïne afghane qui irriguent déjà généreusement une bonne partie de l'ex-URSS.

 Crédits : www.armyrecognition.com

dimanche 14 novembre 2010

Le « Grand Bleu », nouvelle frontière de l'activité minière?

Aujourd'hui cantonnée au domaine des hydrocarbures, l'extraction off-shore
englobera-t-elle demain les ressources minérales?
Crédits : www.laserweldingsolutions.com

Dans un article récent, le New-York Times se penche sur la question de l'exploitation des fonds marins, et plus spécialement des nodules polymétalliques. Ces derniers, reposant profondément sous la surface des eaux, pourraient en effet contenir, outre de forte concentrations de minerais précieux (cuivre, tungstène, etc...), des concentrations suffisamment importantes de terres rares pouvant justifier économiquement la mise en exploitation des fonds marins. Rappelons que les terres rares sont depuis peu l'objet de l'attention des autorités américaines (Pentagone en particulier), sans parler du reste des États occidentaux inquiets de la mainmise de la Chine sur ces éléments stratégiques.

Les Terres Rares dans le contexte de la ruée sur les matières premières

Les terres rares (Rare Earth Elements, REE en anglais) sont présentes en petites quantités sur toute la surface de la terre, mais leur concentration ne permet leur exploitation économique qu'en certains endroits. Au cours des dernières années, elles ont acquis une importance primordiale dans la réalisation de certains composants de haute technologie (matériaux composites ultrarésistants, superconducteurs, électronique de pointe, etc...). Plus important, elles entrent dans la composition de systèmes d'armes sophistiqués dont raffole l'US Army. Cependant, la production est extrêmement mal répartie: l'essentiel des terres rares est extrait de la province chinoise de Mongolie intérieure.

Plusieurs raisons expliquent cette prédominance chinoise. Des raisons géologiques ; la Mongolie intérieure recèle d'importantes concentrations de ces éléments, ce qui rend l'exploitation économiquement viable. Des raisons politiques ensuite : tout au long des années 1990, la Chine a œuvré pour acquérir un monopole de cette production. Grâce à des coûts extrêmement bas et une législation environnementale extrêmement permissive, elle a poussé à la fermeture les principales mines existant hors de son territoire, comme celle de Mountain Pass aux États-Unis. Aujourd'hui, elle réduit progressivement ses exportations afin d'attirer sur son territoire les industries de pointe qui utilisent ces matériaux, mais également pour couvrir ses propres besoins sans cesse croissants. Le Comité Central s'est en effet lancé dans un ambitieux programme de développement des énergies renouvelables afin d'assurer l'approvisionnement énergétique de l'Empire du Milieu, et il se trouve que la fabrication des turbines d'éoliennes ou des voitures hybrides requiert des quantités non négligeables de ces matériaux exotiques. Enfin, la récente crise entre Chine et Japon a démontré que la République Populaire n'exclut pas de se servir de ce monopole à des fins de coercition, ce qui a achevé de plonger les chancelleries occidentales dans la panique.
 
La mine de Baiyun Obo (Baotou, Mongolie intérieure),concentre 
l'essentiel de la production chinoise de terres rares.

Vers la conquête des fonds océaniques?

L'exploitation des fonds marins avait déjà suscité une controverse dans les années 1980, lorsque la crainte d'une pénurie généralisée de matières premières rendait plausible à brève échéance l'exploitation des gisements sous-marins. La découverte de nouveaux filons et l'impossibilité de trouver un consensus quand à l'encadrement juridique de leur exploitation avait depuis relégué les fonds marins dans les abysses. Cependant, le contexte actuel pourrait relancer la course aux actvités minières sous-marines.

L'exploitation des fonds marins, et plus spécialement des nodules polymétalliques dans le seul but d'extraire des terres rares n'est pas viable économiquement. Cependant, la tendance haussière du prix des matières premières minérales, tirée par la croissance des BRICs (en particulier la Chine, l'Inde et dans une certaine mesure le Brésil) pourrait bien changer la donne. Les nodules contiennent, en plus des terres rares, des concentrations de minerai dont le cours élevé rend l'exploitation rentable (à titre d'exemple, ils contiendraient une concentration de cuivre deux fois supérieure à celle des mines du Chili, comme celle qui a récemment fait la une de la presse mondiale). Si des considérations stratégiques (ne plus dépendre du bon vouloir de la Chine pour la fabrication d'armements de pointe) se superposent à des considérations économiques (la hausse des cours de certains métaux), l'exploitation minière pourrait demain gagner le fond des mers.
 
Carte situant la présence de nodules de manganèse.
Source : http://ti.fsg.ulaval.ca

Les abysses : nouvelle terra incognita et nouvelle pomme de discorde?

A terme, la relance de la mise en valeur du sous-sol océanique pourrait voir ressurgir la vieille controverse relative à la définition du « patrimoine commun de l'humanité » auxquels les fonds marins sont censés appartenir. Les bénéfices doivent-ils revenir aux acteurs disposant des moyens pour exploiter ces ressources, ou à l'ensemble de l'humanité, y compris à ceux dont la contribution à la mise en valeur des mers est marginale ou inexistante. Dans l'immédiat, cela semble peu probable. En effet, la technologie actuelle limite la profondeur à laquelle ces ressources peuvent être exploitées, ce qui veut dire que (à l'instar des hydrocarbures présents sous l'Arctique) l'essentiel des champs exploitables se trouvent dans les zones économiques exclusives des différents États. Cependant, à mesure que la technologie les possibilités d'exploitation progresseront, il n'est pas impossible que des conflits ressurgissent. Dores et déjà, la Chine a renoué avec les accents tiers-mondistes et non alignés si caractéristiques de l'ère maoïste (« l'Arctique appartient à tous les peuples du monde et aucune nation n'a de souveraineté sur lui ») et semble se préparer à réclamer sa part du gâteau au Pôle Nord. Un mouvement qui a le don d'agacer au plus haut point l'amirauté russe, qui a répondu qu'elle renforcerait sa présence dans la zone et ne lâcherait « pas un pouce de l'Arctique ».

Un siècle après la fin de la « course à l'Afrique », va-t-on de nouveau se battre pour des terra incognita? La réponse le jour où l'Antarctique se réchauffera assez pour permettre l'exploitation économique...

Le croiseur nucléaire "Pierre le Grand", navire amiral de la
Flotte du Nord russe à Seveomorsk près de Mourmansk, 2007.
Crédits : www.telegraph.co.uk

mercredi 3 novembre 2010

Afghanistan : bientôt un passage de témoin?


 Les derniers survivants du corps expéditionnaires d'Afghanistan à la bataille de Gandamak, en 1842


Il est aujourd'hui de notoriété publique que l'Afghanistan a été au centre de luttes d'influence entre empires rivaux avant même sa constitution en État sous l'impulsion d'Ahmad Shah Durrani. Tour à tour contesté par la Perse et les Moghols, puis par les Britanniques et les Russes, le « Royaume de l'Insolence » se trouve une fois de plus dans le collimateurs des puissances régionales et mondiales. A l'heure actuelle, outre ses voisins aux appétits plus ou moins avoués (Pakistan et Iran), on compte la Russie, la Chine et l'Inde sur le banc des candidats à la suzeraineté sur le Yaghestan.

L'Afghanistan, fossoyeur des Empires.

L'agitation du Royaume de l'insolence a tour à tour provoqué l'affaiblissement de l'Empire Moghol et de l'URSS, et il semble que l'échec de l'OTAN et des États-Unis à pacifier le pays coïncide avec le crépuscule de la puissance planétaire de ces derniers. Incapables d'obtenir un succès rapide, pressés par leurs opinions publiques, les États Occidentaux sont aujourd'hui sur le départ après neuf années de présence.

La situation sur place n'est en effet pas reluisante. Malgré les moyens engagés, (le fameux surge afghan décrété par le président Obama), la situation ne s'améliore pas de manière visible. A cela s'ajoute la coopération plus qu'aléatoire des États voisins. Au nord, les douanes ouzbèkes se montrent tatillonnes, bloquant parfois les convois de ravitaillement de la coalition pendant plusieurs mois, tandis que l'instabilité grandissante au Tadjikistan et au Kirghizistan menace la sécurité des flux logistiques de l'OTAN. Au Sud, l'Iran prépare le départ des américains en se constituant à coup de subsides un vaste réseau d'obligés aussi bien au sein du gouvernement que de l'insurrection, et le Pakistan continue d'entretenir des relations troubles avec les Taliban.

Pressés de quitter ce « royaume de l'insolence » qui refuse de se soumettre à eux comme ils le firent face à l'Armée Rouge, les pays de l'OTAN doivent encore trouver un moyen d'éviter la réapparition de sanctuaires jihadistes dans le pays. Ils doivent donc passer le témoin à une ou plusieurs puissances capables de donner au chaos afghan un semblant de stabilité.


L'Hindou Kouch : un ancien échiquier pour un nouveau « tournoi des ombres »

Le Royaume de l'Insolence ne déroge pas aujourd'hui à la règle qui veut qu'il ait toujours été soumis aux influences de ses puissants voisins. En fait, la plupart des États riverains ou des puissances régionales ont des intérêts dans le pays. La Russie, absente depuis le départ du dernier soldat soviétique en 1989, est aujourd'hui poussée à réinvestir l'Afghanistan de peur qu'il ne serve de base aux islamistes pour embraser l'Asie Centrale et les régions musulmanes de Russie, ainsi que pour tarir les flots d'héroïne qui transitent chaque jour par son territoire avec les conséquences que l'on sait. La Chine souhaite également empêcher le chaos de se propager à sa périphérie musulmane du Sin Kiang, tout en valorisant à son profit les ressources minières d'Afghanistan par l'ouverture de mines comme celle d'Aynak et la construction (en projet) d'infrastructures de transport dans le nord du pays. L'Inde, enfin, a profité de la chute des Taliban pour s'investir dans les domaines tel que l'assistance humanitaire et la formation des forces de sécurité afghanes, ceci au grand dam d'Islamabad qui voit sa « profondeur stratégique » entamée par son ennemie mortelle.

Par ailleurs, les puissances régionales ont pour le pays leur propre agenda. L'Iran prépare activement son retour en Afghanistan en tissant des liens avec un maximum d'acteurs, au sein du gouvernement comme de l'insurrection, qui seront en temps voulu autant de relais d'influence ou de nuisances potentielles. Le Pakistan, qui ne fait pas mystère de sa volonté de peser sur le destin de l'Afghanistan, entretient lui aussi des liens troubles avec les Taliban afghans par l'intermédiaire de certains secteurs de l'ISI.

A l'heure actuelle, la Russie semble être la mieux placée pour être adoubée par les pays de l'OTAN sur le départ, même si elle monnaye âprement sa coopération contre des concessions dans d'autres régions du monde (Europe de l'Est et Caucase notamment). Elle autorise déjà le passage du ravitaillement non-létal de l'ISAF par son territoire et celui des ex-républiques soviétiques d'Asie Centrale. Par ailleurs, face aux risques de déstabilisation durable de la région, elle s'est investi de manière croissante dans les efforts de développement et de sécurisation de l'Afghanistan (vente d'hélicoptères et formation de personnels, réfection d'infrastructures construites par les soviétiques, et enfin participation directe à certaines opérations antidrogue). Fait nouveau, le Kazakhstan semble lui aussi se préparer à un rôle accru sur la scène afghane. Le pays, qui dédie depuis peu d'importantes sommes à la mise en place de programmes de scolarisation, vient d'acquérir de nombreuses locomotives qui pourraient un jour servir à transporter marchandises civiles et militaires à un gouvernement afghan en butte à une insurrection jihadiste (quelque chose rendu aujourd'hui possible grâce au raccordement récent de Mazar-e-Sharif au réseau ferré de l'ex-URSS). Cependant, vu les moyens dont dispose aujourd'hui la Russie et le traumatisme causé par son intervention dans le pays il y a trente ans, une présence militaire directe est hors de question. Cela implique à la fois le recours à des intermédiaires et que le pays soit un territoire disputé entre plusieurs puissances cherchant à étendre leur influence.


L'Afghanistan, le nouveau « Grand Jeu » et le réveil de l'Asie

Les principaux participants du « Grand Jeu » qui se déroule aujourd'hui en Afghanistan figurent parmi les protagonistes majeurs de la redéfinition des grands équilibres géopolitiques en Asie et dans le monde. La Chine et l'Inde en particulier s'affrontent ici comme ailleurs. Mais par le jeu des alliances, cette rivalité implique également les États-Unis, la Russie et le Japon, tous trois amenés à soutenir l'Inde à divers degrés en raison des craintes provoquées par la montée en puissance spectaculaire de la Chine populaire, tant du point de vue économique que militaire.

La Chine peut aujourd'hui se considérer comme une puissance globale. Alors que son PIB rattrape progressivement celui des États-Unis, elle est depuis peu le plus important consommateur d'énergie sur la planète, et affirme de manière croissante son emprise sur les matières premières indispensables à l'affirmation de sa suprématie. Les États-Unis, haegemon en titre sur le déclin, ne voient pas cette tendance d'un bon œil et ne se sont pas privés de faire part de leurs inquiétudes face à une Chine toujours plus agressive et sûre d'elle. Washington a donc entrepris de rallier les pays d'Asie du Sud-Est, préoccupés par la puissance grandissante de Pékin et passablement exaspérés par l'impact de la gestion chinoise de l'eau sur le débit des grands fleuves d'Asie du Sud-Est. Parallèlement, les USA ont entrepris le renforcement de leurs positions en Océanie (construction d'une base navale à Guam, censée remplacer celle d'Okinawa qui devra bientôt être évacuée sous la pression du Japon).

L'Inde, l'autre géant asiatique, se sent également menacée par un encerclement tant naval (le fameux collier de perles) que terrestre (militarisation de l'Himalaya). Pour faire face à une menace chinoise ressentie de plus en plus fort, l'Inde a noué des alliances avec d'autres puissances inquiètes de la montée en puissance de la Chine. Le Japon, longtemps indisposé par la prolifération nucléaire indienne, s'est récemment rapproché de New Delhi, un mouvement qui devrait se poursuivre après la récente controverse autour des îles Senkaku. Rappelons que la Chine a en cette occasion brièvement coupé l'approvisionnement du Japon en terres rares indispensables à la réalisation de matériel électronique de pointe dont l'archipel s'est fait une spécialité. Enfin, l'Inde dépense aujourd'hui des sommes importantes pour moderniser son outil militaire, se fournissant à la fois auprès de la Russie et des pays de l'OTAN.

La Russie, proche allié de l'Inde depuis l'époque soviétique et principal pourvoyeur d'armes du pays, se rapproche actuellement de New Delhi (la Russie a récemment participé à des manœuvres aux côtés des troupes indiennes dans l'Himalaya). Bien que Moscou soit un proche allié de Pékin (les deux pays sont membres fondateurs de l'OCS), les vues chinoises sur son pré carré d'Asie Centrale et, dans une certaine mesure, sur l'arctique, mettent mal à l'aise le Kremlin, qui ne se sent pas de taille à contrer l'appétit des « camarades chinois » dans la région. En sus de ce léger appel du pied en direction de New Dehli, la coopération accrue avec l'OTAN sur les questions liées à l'Afghanistan et à l'Iran (annulation de la vente de systèmes antiaériens perfectionnés à Téhéran) laisse entendre que Moscou cherche à multiplier les alliances de revers au cas où la Chine se montrerait trop gourmande dans les zones d'influence de Moscou.