jeudi 27 janvier 2011

Le Liban en passe de devenir une succursale des Pasdarans iraniens? (Partie 1)


Dans la foulée de la Tunisie, c'est tout le Moyen Orient s'est embrasé à divers degrés. L'ensemble des manifestations étaient dirigées contre l'oppression politique et la situation économique en dégradation constante, qui fragilise les populations les plus modestes. Seule exception au tableau, le Liban, où les derniers troubles civils avaient des origines éminément politiques. Au Pays du Cèdre, les partisans du premier ministre sortant Saad Hariri ont répondu à l'appel des dirigeants du « Courant du Futur » à participer à une « journée de la colère » pour protester contre l'investiture d'un premier ministre soutenu par le Hezbollah.

De la révolution du Cèdre à la victoire du « Parti de Dieu » : genèse d'une crise

L'assassinat de Rafic Hariri en 2005 a provoqué le départ des troupes Syriennes du Liban et a poussé le Hezbollah à participer, pour la première fois de son histoire, à un gouvernement d'union nationale. Cependant, le fossé entre Hezbollah et nouvelle majorité parlementaire n'a cessé de se creuser à la faveur de crises successives (seconde guerre du Liban en 2006, prise de Beyrouth Ouest par le Hezbollah en 2008, et question lancinante de l'attitude du Liban vis-à-vis du Tribunal Spécial pour le Liban-TSL). Plusieurs membres du Parti de Dieu sont en effet dans le collimateur du TSL en raison de leur implication supposée dans l'assassinat de Rafic Hariri, et le Hezbollah cherche à tout prix à empêcher leur inculpation.

A la tête de la coalition d'opposition, le Parti de Dieu a fait tout son possible pour empêcher par des moyens politiques que l'on ne puisse nuire à ses intérêts, essayant toujours, en dépit d'une idéologie politique qui le rattache à l'Iran des Mollahs. Il n'a cependant pas hésité à user de la force lorsqu'il estimait ses intérêts vitaux menacés. Ce fut le cas en 2008 lorsque le gouvernement tenta de s'attaquer à son réseau de communication et à sa mainmise sur la sécurité de l'aéroport de Beyrouth, et il y a quelques jours, lorsque ses forces ont occupé brièvement des points clé de Beyrouth Ouest (sans toutefois porter d'armes).

La proximité de ce dernier événement avec le ralliement du Parti Socialiste Progressiste de Walid Djoumblatt a mis le feu aux poudres. Devant ce qu'ils perçoivent comme un putsch qui fait définitivement basculer le Liban dans l'orbite de l'Iran des mollahs, les sunnites proches du courant du futur ont exprimé leur colère au cours de violentes manifestations à Saïda, Tripoli et dans certains quartiers de Beyrouth.

Feu de paille ou embrasement durable?

Au niveau politique interne, on semble pour l'instant s'orienter vers une impasse. Le candidat soutenu par le Hezbollah et ses alliés était a priori assez consensuel, mais les dirigeants du courant du futur se sont par avance refusés de participer à un gouvernement dirigé d'une manière ou d'une autre par le Parti de Dieu. Il est peu probable que le Hezbollah renonce à cette victoire, qui le met à l'abri du TSL.

Si un blocage est à craindre au niveau interne, la situation est plus inquiétante au niveau international. Les États-Unis ont dores et déjà annoncé qu'un gouvernement dirigé par le Hezbollah aurait des conférences extrêmement négatives, et l'on peut s'attendre à ce que la Maison blanche gèle toute ou partie des aides accordées jusqu'alors au Liban. Et il est tout à fait concevable que d'autres pays (européens notamment) emboîtent le pas aux États Unis.

Cependant, la réaction que pourrait avoir Israel est de loin la plus préoccupante; l'État Hébreux considère en effet le Hezbollah comme une menace existentielle de premier ordre, et est aujourd'hui dirigé par un gouvernement comptant dans ses rangs de nombreux faucons. Ajoutons à cela le fait qu'au sein de Tsahal, certains officiers brûlent d'envie de laver l'affront subi par l'armée la plus réputée du Moyen Orient. Depuis quatre ans, Israël a en effet tiré les leçons de ses erreurs, adapté son appareil militaire, et regagné en assurance et en détermination. L'opération « plomb Durci » de l'hiver 2008 en a apporté la preuve, même si le Hamas de Gaza est un adversaire bien moins redoutable que le Hezbollah. Côté libanais, le Hezbollah a également tiré les leçons de la guerre et n'a cessé de renforcer son potentiel militaire et de moderniser ses procédures de combat et son équipement afin de faire face à un affrontement qu'il juge sinon inévitable, du moins pas impossible.

A l'heure actuelle, chacun semble avoir intérêt à la persistance d'un équilibre de la terreur dans la région, toujours préférable à une guerre totale. Cela suffira-t-il pour autant à éviter l'explosion?

mercredi 19 janvier 2011

Le Tadjikistan, prochain front pour endiguer l'extension du chaos afghan?

  Vue de la frontière tadjiko-afghane
Crédits : www.flickriver.com

Bien que l'Asie Centrale soit quelque peu absente des médias en cette période de « tunisimania » et de sinophobie renouvelée, cela ne signifie pas pour autant qu'il ne s'y passe rien. Ainsi, le Tadjikistan, qui était encore il y a quelques mois la proie d'un regain d'activité de la part des combattants islamistes connaît aujourd'hui plusieurs changements qui pourraient avoir de profondes conséquences.

Le danger islamiste, éternel épouvantail

Bien que le gouvernement du président Rakhmon ait déclaré peu après l'embuscade de la vallée de Rasht que les éléments responsables de l'attaque avaient été neutralisés, il a néanmoins pris plusieurs mesures qui traduisent une crainte réelle et persistante des mouvements islamistes. Après la fin des opérations de ratissage dans la région de Rasht, les autorités ont en effet pris plusieurs mesures contre les islamistes, comme la fermeture de plusieurs mosquées opérant sans autorisation à Douchanbé, le rappel des jeunes étudiant dans des écoles coraniques à l'étranger, et la publication d'une liste de sermons autorisés pour accompagner la prière du vendredi. Parallèlement à ces mesures qui visent à limiter la propagation des idées jihadistes, on note quelques mesures moins orthodoxes comme le harcèlement par la police des hommes arborant une barbe un peu trop fournie, signe supposé d'adhésion à l'islamisme radical... On pourrait donc penser que le gouvernement a, une fois encore décidé, de traiter la sédition par la seule répression, si d'autres éléments ne venaient corroborer un possible changement de politique à Douchanbé.

Une inflexion bienvenue mais tardive

La situation interne du pays, sans être radicalement différente de celle des années précédentes, n'en est pas moins devenue extrêmement préoccupante pour le régime. Outre les habituels problèmes (chômage, déficit énergétique, état déplorable du système éducatif, etc...), le climat économique, social, sécuritaire et politique est en effet extrêmement propice à une déstabilisation croissante.

D'une part, la crise économique a entraîné l'adoption de mesures limitant les possibilités d'emploi pour les travailleurs migrants en Russie, ce qui devrait avoir de graves conséquences pour le Tadjikistan, extrêmement dépendant des transferts de fonds de la part des gastarbeiters installés dans l'ancienne métropole de l'Empire Soviétique. D'autre part les mouvements jihadistes à l'œuvre dans le Nord de l'Afghanistan étendent leur influence au Tadjikistan, qui constitue à la fois une cible facile et un objectif de choix par où transite la logistique de l'OTAN. La symbiose croissante entre insurgés afghans et le Mouvement Islamique d'Ouzbékistan est de ce point de vue particulièrement inquiétante.

Enfin, la propension de la population à se soulever pourrait être stimulée par deux évènements récents, à savoir l'exemple tunisien et la cession à la République Populaire de Chine d'une partie du territoire de la république, mesure extrêmement impopulaire dans le pays quelque soit la légitimité que l'on accorde aux revendications territoriales de Pékin. Face à ce faisceau de danger, sentant la fin proche, le pouvoir du président Rakhmon a choisi de lâcher du lest. Mais cela sera-t-il suffisant?

Une prise de conscience réelle?

Les autorités semblent cette fois prendre les troubles au sérieux et font désormais mine de prêter l'oreille aux demandes des citoyens. Elles ont ainsi procédé à l'arrestation de plusieurs juges et parlementaires accusés d'abus de pouvoir ou de corruption. L'État a également entamé la construction d'infrastructures de transport et de centrales électriques censées répondre au déficit énergétique et à l'enclavement de certaines régions. Enfin, soucieux de bénéficier lui aussi de l'envolée des cours des matières premières, le gouvernement tadjik a récemment annoncé un plan de modernisation de l'entreprise TALCO, leader national de la production d'aluminium.

Au niveau régional, l'Ouzbékistan voisin semble enfin prendre la mesure des conséquences de sa politique étrangère intransigeante sur la stabilité de son voisin tadjik. Alors que les conflits autour des ressources hydriques perdurent, Tachkent a consenti à assouplir les les conditions de remboursement et d'achat de gaz par le Tadjikistan. Il est vrai qu'avec le Kirghizistan toujours plus ou moins plongé dans l'anarchie, la dernière chose dont aurait besoin le régime d'Islam Karimov est une insurrection islamiste aguerrie par une décennie de combat en Afghanistan bénéficiant de sanctuaires à proximité des régions extrêmement volatiles de la vallée du Ferghana.

Enfin, la chance semble sourire au pays. En effet, il a récemment annoncé la découverte d'importants gisements de gaz et d'or dans le pays, qui pourraient à la fois résoudre partiellement la crise énergétique persistante et accroître sensiblement les revenus à l'exportation. Une telle découverte, qui semble tomber à point nommé, n'est pas sans rappeler celle, faite il y a quelques mois, de gisements de minerais d'une valeur estimée à un trillion de dollars dans le sous-sol afghan (il s'agissait en fait des trouvailles des géologues soviétiques remises sur le devant de la scène pour l'occasion).

Elements de la 201ème division de fusiliers motorisée des forces armées russes
stationnés au Tadjikistan pendant la guerre civile (1992 - 1997)
Crédits : RIA Novosti

mardi 11 janvier 2011

Vent d'Est ou tempête à venir?

Festivités du Nouvel An dans la baie de Hong Kong
Source : www.blog-objets-publicitaires.fr

Depuis quelques années, la République Populaire de Chine suscite de plus en plus d'inquiétudes alors qu'elle était auparavant vue par beaucoup en Occident (ou tout du moins en Europe) comme un eldorado commercial censé assurer à un vieux continent économiquement sinistré les débouchés dont il avait tant besoin. En effet, les promesses de ce marché gigantesque à l'appétit insatiable ont été obscurcies par des rumeurs de non-respect de la propriété intellectuelle, une OPA sur les ressources naturelles du tiers-monde et la montée en puissance sans précédent des forces armées chinoises. Cependant, le « rouleau compresseur » chinois, à l'instar de son homologue russe du début du siècle dernier, possède aussi ses faiblesses.

L'empire du Milieu, « sur de lui et dominateur »?

La République Populaire de Chine produit encore de nombreux produits bon marché, mais elle n'est plus cantonné à ce rôle d'exportateur de marchandises de qualité médiocre. Depuis quelques années, elle s'illustre en effet par plusieurs prouesses technologiques telles que ses premiers vols spatiaux habités, la construction du superordinateur le plus puissant jamais réalisé, ou la maîtrise (du moins la revendique-t-elle) du retraitement du combustible nucléaire, sans parler d'ouvrages de travaux publics plus audacieux les uns que les autres.

Corollaire de cette maîtrise technologique civile, la Chine étale depuis quelques temps des systèmes d'armement dernier cri à un rythme effréné. Grande acheteuse d'équipement auprès d'une Russie aux abois dans les années 1990, l'Armée Populaire de Libération a depuis développé une production autochtone d'armements de pointe. Après avoir démontré au monde ses capacités de lutte antisatellite en 2007, elle serait aujourd'hui à même d'aligner un sous-marin capable de plonger jusqu'à 7.000 m de profondeur, un missile à même de couler un porte-avion bientôt opérationnel, et même un chasseur furtif de cinquième génération (équivalent au F-22 Américain ou au PAK-FA Russe). Ces équipements resteront cependant, pour de nombreuses années encore, des prototypes incapables d'apporter à l'APL à un avantage décisif en cas de conflit avec son challenger américain. Néanmoins, leur simple existence prouve que la Chine sera capable à plus ou moins brève échéance de dénier à l'armée américaine ce qui fait sa suprématie.

Enfin, la Chine populaire a connu ces dernières décennies une croissance économique extraordinaire, qui lui a permis de se hisser au niveau d'une puissance d'envergure mondiale. Son excédent commercial et ses réserves de change ont permis à la République Populaire de Chine de mener une diplomatie active, principalement appuyée sur les accords économiques et commerciaux. Déjà détentrice d'une bonne partie des bons du trésor américain, elle s'attaque depuis peu à l'Europe, en finançant partiellement la dette de pays comme la Grèce et en y acquérant des actifs portuaires. En Afrique, elle conclut également de nombreux accords visant à assurer à son économie l'accès aux ressources minières dont elle a tant besoin, moyennant la construction d'infrastructures et le silence sur la politique interne de ces États. Enfin, bien que la banque centrale chinoise poursuive actuellement une politique de sous-évaluation du yuan, le poids et la force actuelle de l'économie chinoise poussent certains à se demander si la monnaie chinoise ne pourrait pas à terme acquérir le statut de devise de réserve.

Le J-20, avion de combat furtif de cinquième génération et dernier néde l'industrie militaire chinoise.
Source : www.telegraph.co.uk

Les limites de la puissance chinoise.

Bien que la Chine puisse compter sur des ressources économiques et humaines gigantesques au service d'une volonté politique cohérente et qui s'inscrit dans la durée, elle doit aussi faire face à des problèmes à la mesure de ses moyens. Au niveau interne, la Chine pourrait à terme elle aussi être confrontée un double déséquilibre démographique (entre jeunes et vieux d'une part, entre hommes et femmes d'autre part) , conséquence imprévue de la politique de l'enfant unique. Par ailleurs, elle doit aussi faire face à plusieurs problèmes d'ordre écologique (inondations, désertification) provoqués par le réchauffement climatique et des années de négligence de la part du gouvernement central. A court terme, l'inflation qui touche les denrées alimentaires est également un facteur de tension (comme en témoignent les exemples algériens et tunisiens), ce qui a poussé les autorités chinoises à prendre des mesures pour limiter la hausse des prix. Enfin, la Chine compte toujours en son sein des territoires périphériques abritant des minorités mal intégrées qui sont loin d'être bien disposées vis-à-vis de la domination des Han.

Les problèmes internes sont à la mesure des ressources dont dispose la Chine, mais si importants soient-ils, ils sont loin d'être le seuls. En fait, l'une des lacunes majeures de la Chine réside dans l'incapacité de sa diplomatie à présenter un visage pacifique. Aux USA et à ses frontières, la montée en puissance de la marine de guerre chinoise inquiète, ce qui a déjà poussé de nombreux pays d'Asie du Sud-Est, l'Inde et le Japon à serrer les rangs contre Pékin pour le plus grand plaisir de Washington. Il faut dire que, traditionnellement discrète, l'APL a ces dernières années multiplié les déclarations fracassantes, ce qui a donné des sueurs froides à plusieurs chancelleries. En Europe, le poids croissant des investissements chinois, notamment dans certains secteurs clé et dans la dette publique, inquiète au point qu'il est question, sinon d'y mettre un terme, du moins de le limiter et de le contrôler. Enfin, en Afrique, malgré les succès de la diplomatie chinoise, la méthode employée n'est pas sans créer des rancœurs. En effet, les chantiers de construction n'ont qu'un impact limité sur l'économie locale dans la mesure où l'essentiel de la main d'œuvre est amenée sur place par les entreprises chinoises, tandis que les produits bon marché, abordables pour le consommateur africain, sont aussi la ruine des producteurs locaux.

 Un navire lance-missile en action lors de manoeuvres en mer de Chine orientale. La montée en puissance de la marine de guerre chinoise est un sujet de préoccupation pour les USA, le Japon et l'Inde.
Source : http://defensetech.org

samedi 8 janvier 2011

"Chroniques méso-asiennes" change de nom...


Pour marquer la nouvelle année, le site change de nom et quelque peu de perspective.

Étant en effet pas mal pris par mes nouvelles obligations (professionnelles et autres), le temps vient à manquer pour produire régulièrement des analyses ayant un minimum de profondeur sur des thématiques exclusivement liées à l'Asie Centrale (ce problème m'avait d'ailleurs poussé à aborder des questions comme le Hezbollah ou l'exploitation des fonds marins). Qui plus est, pronostiquer encore et toujours la contagion du conflit Afghan au Nord ou étudier les tensions qui agitent la vallée du Ferghana finit par être un peu frustrant, alors qu'en Chine, en Iran ou en Inde, se produisent certains évènements dignes d'intérêt.

Le blog prend donc pour l'année à venir une teinte un peu plus "Grand Jeu" en intégrant aux zones jusqu'alors traitées les territoires de la Chine, des anciennes Indes Britanniques et des l'empires disparus des Safavides  (qui regroupe l'Iran actuel et une partie de l'Afghanistan) et des Moghols (Inde, Pakistan, et partie orientale de l'Afghanistan).

lundi 3 janvier 2011

С новым годом!


Une bonne année 2011 à tous et à toutes, ou à défaut moins pénible que 2010 (pour les pessimistes).

J'ai été retenu ces deux derniers mois par des affaires urgentes, quelques problèmes de santé et, il faut bien l'avouer, quelques difficultés pour faire face à un emploi du temps nettement plus chargé qu'auparavant depuis octobre. J'espère malgré tout pouvoir recommencer prochainement à alimenter le blog régulièrement sur une base hebdomadaire ou bi-hebdomadaire.