jeudi 23 septembre 2010

Le Kirghizistan à la veille d'un scrutin lourd de conséquences

Affiches électorales, Kirghizistan. Crédits, Ferghana.ru.
Malgré le chaos dans lequel il est plongé depuis la chute du président Kourmanbek Bakiyev, le Kirghizistan s'achemine progressivement vers le scrutin du 10 octobre prochain. Pas moins de 29 partis sont en lice pour remporter une partie des 120 sièges de la nouvelle législature. Généralement perçu comme un moyen de débloquer une situation politique dans l'impasse, ce genre de consultations ayant lieu juste après des troubles importants laisse craindre une dégradation supplémentaire de la situation dans le pays.

Un pays durablement fracturé

Le nombre de partis en lice et la pauvreté de leur programme politique s'explique, entre autres choses, par le fait que ces derniers sont souvent le simple véhicule des ambitions d'un individu ou d'un clan. Une charge officielle ouvre généralement l'accès à une rente publique ainsi qu'à des prérogatives qui permettent de protéger ou de développer des activités lucratives plus ou moins légales. Dans le cas présent, un siège de député est également synonyme d'immunité parlementaire, quelque chose qui n'est pas sans intérêt pour certains mafieux souhaitant conserveur une certaine liberté d'action pour conduire leurs affaires.
Parmi les partis enregistrés pour les élections du 10 octobre, le parti Ata-Jurt se distingue particulièrement. Regroupant de nombreux fidèles du président déchu, il compense la faiblesse de son programme politique en mobilisant surtout les populations kirghizes du sud au moyen d'une rhétorique nationaliste et de l'opposition au pouvoir intérimaire ou aux ingérences extérieures (OSCE en tête). Ata-Jurt est dirigé par Kamshybek Tashiev, ancien ministre des situations d'urgences du président Bakiyev, qui s'est illustré en déclarant que les kirghizes, en tant que nation titulaire de l'Etat, ne jouissaient pas du respect dû à ce statut, et que les minorités ethniques vivant au Kirghizistan avaient vocation à être assimilées pour éviter des troubles intercommunautaires à l'avenir.

Illustrant à merveille cette ligne dure et antigouvernementale, le maire d'Osh, Melyzbek Myrzakmatov, est également un fidèle de l'ancien président qui l'a placé à ce poste et que le gouvernement présidé par Rosa Otunbayeva n'a pas réussi à démettre de ses fonctions. Il ne fait pas mystère de sa défiance vis-à-vis de Bishkek ("les directives du gouvernement provisoire n'ont pas de force légale au Sud), et s'est engagé dans une politique urbaine comparée par certains à du nettoyage ethnique. Il a en effet annoncé récemment son intention de construire dans les anciens quartiers ouzbeks d'Osh des lotissements collectifs censés abriter une population mixte, mais qui seront selon toute probabilité remplis pat des kirghizes ethniques.

Les racines du mal: la question des nationalités, héritage de l'URSS.

Le Kirghizistan est une construction de l'URSS qui date des débuts de la politique des nationalités du pouvoir bolchevique. Sous l'impulsion de Staline, à l'époque commissaire aux nationalités, il fut décidé la création d'Etats pour les minorités de l'ex-empire russe suivant le principe « une langue, une ethnie, un territoire ». Ce principe fut toutefois tempéré par la nécessité de donner aux différents États une certaine viabilité en les dotant d'un minimum de ressources économiques, ce qui explique le rattachement de plusieurs parties de la vallée du Ferghana peuplées d'ouzbeks au Tadjikistan et au Kirghizistan. A l'époque soviétique, la domination du centre moscovite tendait à maintenir les tensions potentielles sous contrôle. La cohabitation entre kirghizes, ouzbeks autochtones et immigrants divers (russes ou « peuples punis » déportés depuis le Caucase ou la Volga) n'a jamais été brisée par des heurts important avant le crépuscule de l'URSS. Avec l'indépendance, la question de la Nation et de la construction de l'État se traduisit par une dégradation continuelle des relations intercommunautaires.

Latentes dès le début des années 1990 au Kirghizistan, les tensions ont dégénéré en affrontement ouverts l'été dernier. Elles se sont d'abord manifestées par des expulsions et l'occupation de terrains appartenant pour la plupart à des minorités ethniques (ouzbeks et turcs meshkètes). Puis les émeutes sanglantes qui ont enflammé Osh au mois de juin et ont particulièrement frappé les ouzbeks ont achevé de briser la confiance intercommunautaire, même s'il est aujourd'hui clair que les troubles étaient organisés et qu'en de nombreuses occasions, des ouzbeks ont été secourus et protégés par leurs voisins kirghizes. Aujourd'hui, les tensions s'illustrent encore par des affrontements sporadiques et une méfiance réciproque entre communautés.

Plus vivace au Sud qu'au Nord, le sentiment anti-ouzbek est plus présent au sein de la jeunesse qui s'avère moins sensible que d'autres secteurs de la population aux appels à la réconciliation. A cela s'ajoutent des tensions réelles entre kirghizes du Nord et du Sud, ces derniers ayant été maintenus à l'écart du pouvoir exception faite de la présidence de Bakiyev. Le fossé est aujourd'hui si profond que certains s'interrogent sur la possibilité d'une partition du pays en deux États réunis au sein d'une fédération.


Vers l'embrasement du Ferghana?

Les élections du 10 octobre sont un scrutin à haut risque. Nombre de partis d'opposition se sont en effet dotés de sections de jeunesse, qui servent de gros bras si le besoin s'en fait sentir. En cas de résultat contesté ou serré, il n'est pas impossible que les perdants en fassent usage pour provoquer des troubles Cela ne manquerait de creuser encore plus la fracture nord-sud au sein du pays, un antagonisme qui n'est pas sans rappeler les prémices de la guerre civile au Tadjikistan. Par ailleurs, la poursuite des exactions contre les ouzbeks pourrait pousser ces derniers à l'action violente, soit en mettant sur pieds des formations paramilitaires, soit en se tournant vers le MIO (Mouvement Islamique d'Ouzbékistan), qui accepterait d'autant plus d'aider les ouzbeks du Kirghizistan qu'il voit dans les régions ouzbèkes du pays de possibles sanctuaires pour déstabiliser à terme toute la vallée du Ferghana. La possibilité que les ouzbeks prennent les armes est d'autant plus réelle qu'il existe dans plusieurs pays, dont l'Arabie Saoudite, une diaspora ouzbèke qui dispose de moyens suffisants pour aider ses congénères restés en Asie Centrale.

Reste à espérer que l'audience des appels à la haine et des partis nationaliste reste limitée, et que la crainte d'une réaction féroce de Moscou visant à préserver ses intérêts et ses ressortissants dans le pays refroidisse les plus fervents partisans de l'affrontement interethnique. De plus, parallèlement aux appels à la réconciliation entre ethnies, le gouvernement s'est lancé dans une campagne d'amnistie des officiels soupçonnés de détournement de fonds, sous réserve qu'ils réintègrent les sommes détournées.

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