mercredi 2 février 2011

Un "Grand Moyen Orient" inattendu

Crédits : ctv.ca

Politiquement figé depuis près de trente ans (exception faite du Liban), le moyen-orient fait depuis quelques semaines l'expérience de bouleversements sans précédent. Après la Tunisie, l'Égypte est en proie aux émeutes, alors même que les troubles en Jordanie et au Yémen ont poussé les gouvernements établis à des concessions plus ou moins importantes. Le régime iranien, qui a résisté avec succès à une vague de protestations l'année dernière, a officiellement appuyé les soulèvements, allant jusqu'à les comparer à la révolution de 1979 qui avait instauré la République Islamique. Alors que Téhéran ricane, Israël rit jaune. En effet, cette vague de soulèvements pourrait bien conduire à un encerclement comme l'État hébreu n'en a pas connu depuis des décennies.

Un « Grand Moyen Orient » inattendu

Au mois de janvier déjà, le Liban avait « basculé » suite à la nomination au poste de premier ministre d'un candidat soutenu par le Hezbollah suite à l'éviction de la précédente majorité parlementaire pro-occidentale. Bien que cela ne change pas fondamentalement la donne régionale, cet événement traduit le renforcement continu du Hezbollah au Liban, et par ricochet de l'influence iranienne aux frontières d'Israël. Les troubles en Jordanie pourraient également profiter aux islamistes jordaniens qui, bien qu'intégrés au système parlementaire et officiellement non violent, n'en demeurent pas moins une émanation des Frères Musulmans (ce qui se traduit entre autres choses par un soutien affirmé au Hamas palestinien). En Syrie, bien que le pouvoir du Baas semble tenir solidement sa population, ce dernier court tout de même le risque d'être déstabilisé par la contestation populaire (c'est du moins ce que laissent entendre les dernières déclarations du président Assad). Et alors que le pouvoir est aujourd'hui tenu par les alaouites, les 85% de sunnites qui composent le pays pourraient être favorable au message des Frères Musulmans, jadis puissants dans le pays (bien qu'écrasés au début des années 1980 suite à leur tentative de prise du pouvoir dans la foulée de la Révolution iranienne).


Le spectre de l'Islam radical : entre nuances et unité

Dans toute la région, les soulèvements plus ou moins violents font craindre l'arrivée au pouvoir, à plus ou moins brève échéance, des courants islamistes liés à la mouvance des Frères Musulmans. Cette confrérie fondée en 1928 par Hassan al-Banna en Egypte se veut un mouvement réformateur, qui vise à réformer l'Islam en revenant aux premières sources de la doctrine religieuse. Quoique différenciés des wahhabites, salafistes et mouvements jihadistes, et bien que les différentes branches nationales des Frères soient très différentes les unes des autres, la confrérie cultive avec ses différntes émanations et avec d'autres mouvances fondamentalistes (wahhabites saoudiens, salafistes, deobandis pakistanais, etc...) un certain attachement à la pensée d'Ibn Taimiyyah, théologien de l'école hanbalite qui développé une doctrine extrémiste au XIIIème siècle. Marqué par l'invasion du moyen-orient musulman par les hordes mongoles infidèles, il développa une doctrine particulièrement intolérante vis-à-vis des autres courants de l'Islam (chiites et soufis notamment) et des infidèles. Il est donc peu étonnant qu'une telle doctrine, marquée du sceau de l'intolérance suscitée par une agression extérieure (en l'occurrence les invasions mongoles), inspire certains intellectuels musulmans du début du XXème siècle. Le monde musulman se trouve en effet intégralement soumis aux puissances coloniales (France, Grande Bretagne, et Russie bolchévique dans une certaine mesure) de tradition chrétienne (à l'exception de la Russie qui se revendique athée), le Califat est aboli et la Turquie de Kemal Attatürk qui succède à l'Empire Ottoman rejette son héritage religieux pour adopter un modèle de modernité à l'occidentale.

Les Frères Musulmans diffèrent des partisans de la Révolution Islamique inspirés par la doctrine d'Ali Shariati et de Ruollah Khomenei par le courant de l'Islam qu'ils embrassent (les premiers sont sunnites, les seconds chiites) et par leur doctrine politique (alors que les chiites révolutionnaires veulent islamiser la société « par le haut » en imposant le gouvernement du théologien juriste – wilayat al faqih- les Frères Musulmans cherchent à l'islamiser « par le bas » grâce à un travail de propagande au plus près des populations). Cependant, les deux tendances, dans la mesure où elles sont des mouvements subversifs, se retrouvent sur certains points de tactique. Parmi eux, on retrouve l'importance apportée à l'action sociale pour s'arroger l'appui des populations, et une communication politique qui privilégie les messages consensuels et évacue donc les éléments de doctrine les plus « extrémistes ». L'action sociale figure en bonne place de l'arsenal du Hamas, du Hezbollah et des Frères Musulmans égyptiens, et a déjà produit d'excellents résultats en terme de soutien populaire. La modération apparente a permis au Hezbollah, en axant son message sur la résistance à Israël, d'emporter l'appui de nombreux libanais non-chiites, tandis que le retrait des Frères Musulmans à l'occasion des troubles en Égypte et le ralliement au message véhiculé par l'ensemble de l'opposition vise à rassurer les éléments a priori peu sympathiques aux thèses islamistes. Enfin, tandis que le Hezbollah s'est dans un premier temps forgé une image de probité et de modération en n'acceptant de gouverner qu'à l'échelon municipal, il est probable que les Frères Musulmans ou la formation politique qu'il fonderaient en cas d'ouverture du champ politique égyptien feraient de même.

Défilé de miliciens du Hezbollah au Sud-Liban

Israël de nouveau encerclé?

Bien que la prise de contrôle de l'Egypte ou du Moyen Orient par les groupes islamistes soit aujourd'hui, un horizon très lointain et incertain (l'Armée égyptienne ne permettrait probablement pas un tel scénario, et, contrairement à son homologue libanaise vis-à-vis du Hezbollah, elle surclasse en organisation en en puissance de feu l'organisation islamiste). Cependant, Israël s'inquiète déjà du basculement de son puissant voisin du sud, qui pourrait à l'avenir adopter une posture moins arrangeante à son égard. L'Etat hébreu considère en effet sa frontière sud sécurisée depuis les accords de Camp David. Si la dénonciation de ces accords semble à l'heure actuelle peu probable, la désorganisation qui pourrait suivre un changement de régime amènerait à un relâchement du contrôle des frontières, assouplissant de ce fait le blocus de Gaza et facilitant le réarmement du Hamas. De même, une influence accrue des islamistes en Jordanie et en Syrie aurait pour effet d'accroître la tension aux frontières.

A cela il faut ajouter la perturbation de l'approvisionnement en gaz d'Israël par les troubles en Égypte, perturbations qui pourraient s'éterniser si le nouveau pouvoir adoptait une posture plus intransigeante vis-à-vis de l'Etat Hébreu. Cela rendrait l'exploitation du gisement off shore baptisé « Léviathan » et récemment découvert au large des côtes israélo-libanaises encore plus vitale. Ces ressources suscitent cependant de grandes convoitises : alors qu'Israël entend bien les exploiter à son avantage exclusif, le Liban a revendiqué ces ressources pour son propre usage, revendications appuyées par le Hezbollah, qui dispose des moyens de frapper les navires ou installations tentant de pomper ces ressources.

 Portée des roquettes du Hamas (haut) et du Hezbollah. Alors que l'essentiel du territoire israélien est sous la menace des tirs, la menace accrue qui pourrait venir du Sinaï renforce la menace pesant sur le territoire israélien.

Mise à Jour (02.02.11 - 16.17 GMT+1)

Apparemment les premiers troubles gagnent l'Arabie Saoudite et ont pour objet l'incurie des autorités. On s'en souviendra de ce début d'année 2011..

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