mercredi 6 octobre 2010

L'Asie Centrale vers un "conflit total"?


Le colloque sur le nouvel arc d'instabilité qui s'est déroulé à Almaty le 28 septembre dernier offre une bonne occasion de revenir sur les derniers événements qui se sont déroulés dans cette région. A cette occasion, les deux principaux invités (Marlène Laruelle et Alexandre Knyaziev) se sont exprimés sur les dangers que faisait courir la situation au Tadjikistan, au Kirghizistan et en Afghanistan.

L'autre « arc de crise »:

L'année 2010 est déjà riche d'évènements dans cette région du monde, et rien n'indique qu'il en sera autrement dans les mois à venir. Le Kirghizistan se prépare actuellement à une élection à haut risque après les évènements qui ont ensanglanté Osh et Djalalabad cet été, tandis que le Tadjikistan a déjà été le théâtre d'attaques meurtrières de combattants islamistes contre ses forces de sécurité. En Afghanistan, la situation n'est guère meilleure. Tandis que le gouvernement présidé par Hamid Karzaï s'avère incapable de régler la question de la représentation des ethnies au sein de l'administration, l'armée et la police sont encore loin de pouvoir assurer la sécurité dans le pays, malgré le concours des troupes de l'OTAN déployées en Afghanistan.

Si les manifestations les plus extrêmes de l'instabilité latente de cette zone n'ont eu lieu que récemment, les processus qui la sous-tendent n'ont en revanche rien de nouveau et ne sont donc pas une surprise pour plusieurs spécialistes de la zone (qu'il s'agisse des participants au colloque précité ou de René Cagnat, qui n'a pas été le dernier à discerner les différents facteurs d'instabilité à l'œuvre dans la région). Depuis les indépendances, la région est la proie de régimes plus ou moins autoritaires et de bureaucraties usant de leurs charges officielles comme de rentes financières ou politiques. La spécialisation de la région dans la production de matières premières n'a pas non plus toujours été un avantage, tandis que les conflits issus du découpage très complexe des frontières ont rendu les relations entre États très tendues. Conséquence de cette méfiance généralisée, la gestion des infrastructures communes (réseaux électriques, ferroviaires, routiers et d'irrigation) est très problématique et le manque d'entretien qui en découle a abouti à une dégradation avec le temps. Aujourd'hui, les coupures de courant, la fermeture des routes commerciales, et les retenues d'eau sont fréquentes, alors que les pertes d'eau d'irrigation par infiltration aggravent le stress hydrique de la région.

Le chaos afghan, catalyseur de l'instabilité latente

L'intervention des États-Unis contre le régime des Taliban en 2001 avait laissé espérer que le regain d'intérêt pour l'Asie Centrale ferait progresser la région sur la voie de la stabilisation, du développement économique et peut-être même de l'ouverture politique. Presque une décennie après, force est de constater que le conflit afghan qui déborde en dehors des frontières du « Royaume de l'Insolence ». Non seulement l'insurrection gagne aujourd'hui le nord du pays, peuplé de non-pashtounes, mais les combattants chassés de leurs sanctuaires Waziristan par les offensives de l'armée pakistanaise se sont regroupés plus au nord, dans les zones frontalières à cheval sur le Pakistan et le Tadjikistan. A l'époque de la guerre civile tadjike (1992 – 1997), ces zones montagneuses peuplées majoritairement de Tadjiks servaient de point de contact entre l'Opposition Tadjike Unie (OTU, incluant des islamistes) et certains seigneurs de guerre afghans avant la prise de Kaboul par les Taliban.

Aujourd'hui, cette région est de nouveau menacée par des combattants islamistes endurcis et bien équipés, qui surclassent les forces de sécurité locales. A terme, il est probable que ces combattants transmettent leurs savoirs-faire à une autre lignée d'insurgés locaux, accroissant par la même l'instabilité de la région. De plus, profitant du désordre ambiant, les trafiquants de drogue ont développé leurs itinéraires dans les républiques montagnardes d'Asie Centrale pour écouler l'héroïne afghane dont la production n'a cessé de croître depuis 2001. Enfin, la non résolution des questions ethniques et territoriales dans ces États est un facteur de déstabilisation extrêmement menaçant, comme l'ont prouvé les troubles au Kirghizistan l'été dernier et la guerre civile au Tadjikistan dans les années 1990. La question ethnique au Kirghizistan est qui plus est compliquée par la diffusion d'un fort sentiment anti-kirghize au sein des populations ouzbèkes d'Ouzbékistan résidant dans les zones de la vallée du Ferghana qui ont accueilli des réfugié pendant l'été.

Tous s'accordent sur les menaces qui pèsent à l'heure actuelle sur l'Asie Centrale et par ricochet sur la Russie, la Chine et dans une certaine mesure l'Europe. Cependant, à l'heure actuelle, les principales puissances présentes dans la région (OTAN, Russie et Chine) n'ont pas été en mesure de combattre efficacement le développement du crime organisé et d'un potentiel insurrectionnel chaque jour plus menaçant.


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