lundi 16 août 2010

L'automne sera-t-il chaud au Pays du Cèdre?

Explosion d'une bombe israélienne pendant la "Guerre de Juillet" en 2006

Traditionnellement mouvementées, les relations entre le Liban et les États-Unis risquent fort de nouvelles péripéties à la suite de l'accrochage frontalier du 3 août. Le Congrès américain, par l'intermédiaire du chef du sous-comité chargé de la supervision de l'aide étrangère, vient en effet de geler 100 millions de dollars d'aide militaire destinée à Beyrouth, et menace de faire de même avec l'aide programmée pour l'année 2011. La réponse libanaise n'a pas tardé . Elias Murr, ministre de la défense, a déclaré que toute aide destinée aux forces armées libanaises (FAL) était la bienvenue, mais que les États-Unis feraient aussi bien de garder toute aide « accordée sous la condition que les FAL ne défendent pas le territoire, la population et les frontières libanaises», ou même de l'envoyer directement à Israël. Décidé à se passer de l'aide américaine, le ministre a même appelé ses concitoyens à verser leur obole à l'armée libanaise, allant même jusqu'à montrer lui même l'exemple en versant avec son père 670.000 dollars dans le fonds prévu à cet effet. L'Iran, toujours à l'affut d'une opportunité de contrarier Washington d'une manière ou d'une autre, a fièrement annoncé qu'il était disposé à compenser ce manque à gagner pour les FAL. En réaction, le département d'Etat a réaffirmé son attachement au maintien de l'assistance aux FAL, précisément pour éviter qu'elles fassent l'objet d'une OPA de la part des Gardiens de la Révolutions, sponsors du Hezbollah.

L'aide américaine est en effet destinée à contrer l'influence du Hezbollah au Liban et au sein des FAL, mais c'est ironiquement la relation trop « proche » qui l'unit au Parti de Dieu qui motive la fronde parlementaire contre la poursuite de cette assistance. En effet, l'une des raisons pour lesquelles le Hezbollah jouit au Liban d'une telle popularité est sa capacité à garantir la sécurité du Pays du Cèdre contre Israël, chose dont les FAL semblaient jusqu'alors incapables. Assurer la montée en puissance des forces régulières de l'État Libanais enlèverait donc au Hezbollah sa légitimité à conserver un appareil militaire plus que fourni, qui contribue à son influence. Cependant, cette intention louable se heurte à plusieurs obstacles.


Une aide insuffisante pour accroître la crédibilité des FAL

D'une part, les liens entre Hezbollah et FAL impliquent que l'aide bénéficiera au moins partiellement au Parti de Dieu, ce qui est loin d'enchanter Washington qui le considère toujours comme une organisation terroriste. D'autre part (et le fait qu'un tel mouvement ait lieu avec un accrochage avec Tsahal indique que c'est peut-être l'obstacle principal), armer le Liban n'est pas du tout du goût d'Israël, partenaire privilégié des USA, qui dispose par ailleurs de relais d'influence bien positionnés au sein de l'establishment américain. En effet, en dépit de relations qui se sont tendues entre MM. Obama et Netanyaou ces derniers temps, la coopération militaire demeure intense. Jusqu'ici, l'aide américaine a donc eu un impact marginal sur les capacités militaires des FAL, car elle consistait essentiellement en formations et en matériel obsolète, ou en tout cas pas à même de battre en brèche la supériorité terrestre (surtout dans le domaine blindé) et aérienne de Tsahal.

On peut lire l'incident du 3 août dernier comme un signe que les FAL cherchent à affirmer leur statut de défenseur de la souveraineté et du territoire libanais contre l'ennemi tout désigné. L'Armée Libanaise a en effet « été au carton » (bien que le prétexte en lui-même relève plus d'une querelle de voisinage que de l'incident international), et le Hezbollah est resté l'arme au pied pendant toute la durée des échanges de feu. Soucieux de ne pas provoquer le déclenchement d'un nouveau conflit qui risquerait de saper le large soutien dont il continue de jouir, il a en agissant ainsi reconnu les FAL comme garant de l'intégrité du Liban.

Vers le maintien du statut-quo
Il est encore trop tôt pour évaluer l'impact au Liban même de cette nouvelle posture des FAL, mais une chose est sûre, l'armée ne pourra assurer la défense du Liban de manière crédible sans un accroissement substantiel de ses capacités opérationnelles (blindés modernes et équipements antiaériens performants). Ce n'est pas quelque chose dont on prend le chemin actuellement, aussi bien en raison de l'impasse dans laquelle se trouvent les USA du fait de leur partenaire Israélien, que du fait que le statut quo actuel convient parfaitement au Hezbollah, qui demeure la principale force combattante au Liban et conserve ainsi son statut et son arsenal.

L'Iran profitera-t-il du désengagement américain pour resserrer davantage encore son emprise sur le Liban? Rien n'est moins sûr. D'une part, la décision américaine n'est pas irrévocable, et il est possible de trouver d'autres canaux pour la faire transiter, moins vulnérables aux humeurs de parlementaires chatouilleux. D'autre part, les moyens de l'Iran sont limités tant du point de vue financier que technique. Financièrement, la République Islamique est la cible de toute une batterie de sanctions qui pèsent lourd sur son économie, et donc sur la capacité du gouvernement à maintenir le calme. Il est probable que les ressources disponibles iront en priorité à la stabilisation de la situation en interne plutôt qu'à une (coûteuse) politique d'avancée au Liban. D'autre part, l'Iran a depuis des années orienté sa doctrine et ses forces militaires vers la conduite d'actions relevant de la guerre irrégulière (le spectre va du terrorisme et de l'interruption des flux énergétiques dans le Golfe à la guérilla et au combat urbain). Au mieux, les équipements et l'expertise fournis par l'Iran permettraient aux FAL ou au Hezbollah de gêner considérablement l'action des forces aériennes et terrestres israéliennes, mais ne pourraient empêcher la heyl'HaAvir (aviation israélienne) de vitrifier une bonne partie du Liban. Dès lors, la seule « victoire » que pourrait remporter le Hezbollah ou les FAL aurait un goût plutôt amer.

Possible, la prochaine guerre demeure cependant improbable, dans la mesure où aucun des protagonistes ne semble décidé à pousser l'affrontement plus loin. Côté israélien, on se satisfait du calme qui règne depuis 2006 sur la frontière nord, où en dépit des tensions, les incidents comme celui d'hier demeurent rares. Qui plus est, le degré de préparation du Parti de Dieu laisse entrevoir un affrontement meurtrier si un conflit ouvert venait à éclater. Côté libanais, personne n'a envie d'une seconde « Guerre de Juillet », aussi bien le gouvernement que le Hezbollah, soucieux de préserver son appareil militaire et de ne pas compromettre une popularité savamment entretenue par une nouvelle aventure guerrière.  L'Iran, enfin, préfère sans doute conserver son atout afin de dissuader Israéliens et Américains de frapper ses installations nucléaires.

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