lundi 23 août 2010

La Russie bientôt de retour au Royaume de l'Insolence?


Bien que toujours affectée par des problèmes récents (conséquences de la crise économique mondiale, sécheresse et incendies meurtriers) comme anciens (corruption endémique et instabilité dans le Caucase), la Russie est depuis plusieurs années décidée à récupérer un peu du poids et du prestige de la défunte URSS. Entre autres choses, elle a prouvé qu'elle conservait de réelles capacités militaires ainsi que la détermination de les utiliser si cela s'avérait nécessaire lors du conflit qui l'a opposé à la Géorgie en 2008. Dans la foulée, elle a réussi à maintenir une présence militaire en Ukraine et en Arménie, ce qui n'était pas gagné d'avance vu la manière dont une partie importante de l'opinion de ces pays juge la présence militaire russe. Par ailleurs, le rôle de la Russie dans l'éviction de Bakiyev au Kirghizistan démontre qu'il ne faut pas jouer au plus fin avec Moscou (Bakiyev avait alors encaissé une importante aide russe contre promesse d'expulser les américains de Manas, ce qu'il n'a pas fait). Enfin, dernier événement en date, l'union douanière regroupant Russie, Biélorussie et Kazakhstan est entrée en vigueur le 1er janvier dernier et marque un retour un peu plus poussé de Moscou dans son pré carré.

Cependant, le Kremlin s'est récemment tourné vers une région porteuse pour la Russie de souvenirs désagréables, l'Afghanistan et ses voisins. Faisant suite à plusieurs rencontres bilatérales entre le président russe et ses homologues étrangers, un sommet réunissant les chefs d'État de la Russie, du Tadjikistan, de l'Afghanistan et du Pakistan s'est tenu à Sochi le mercredi 18 août. Les pays invités ne sont pas sans rappeler le « Grand Jeu » russo-britannique du XXème siècle, et il a bien été question d'un engagement plus poussé de la Russie dans la stabilisation de l'Afghanistan, ainsi que d'intégration et de partenariats économiques (plusieurs projets concrets ont même été mentionnés dans la déclaration finale).

Nature et portée de l'implication russe

L'aventure militaire soviétique au « Royaume de l'Insolence » est encore trop fraîche pour que Moscou envoie le moindre soldat dans le pays, néanmoins la situation est telle que le Kremlin ne peut contempler les bras croisés l'Afghanistan s'enfoncer dans le chaos (même si rien ne l'empêche d'extorquer à l'OTAN quelques concessions en échange de sa coopération). Le risque de déstabilisation de l'Asie Centrale et les effets dévastateurs de l'héroïne bon marché ne valent pas l'humiliation des Américains. Moscou autorise déjà le transit par voie ferré du ravitaillement occidental vers le nord du pays, mais pourrait bien s'impliquer directement en Afghanistan.

L'assistance russe pourrait donc prendre la forme de la livraison d'une vingtaine d'hélicoptères supplémentaires (sous réserve que ceux-ci soient payés par les Afghans avec des dollars probablement américains), ainsi que d'armes légères et la formation des troupes afghanes, sous les mêmes conditions. Étant donné le type d'adversaire que combat l'Armée Nationale Afghane (ANA), l'environnement ainsi que ses moyens humains et financiers, on comprend l'attrait que présente le matériel russe. Robuste, simple d'emploi et d'entretien, raisonnablement onéreux à l'achat, il est aussi parfois mieux adapté que certains équipements occidentaux à la lutte contre l'insurrection.

Parallèlement, si l'on en croit les déclarations du président Medvedev, la Russie serait également en négociations pour plusieurs contrats d'une valeur d'environ 1 milliard de dollars portant sur la réfection d'infrastructures construites par les soviétiques, notamment des centrales hydrauliques, des systèmes d'irrigation et des puits. Le ministre des affaires étrangères, Serguei Lavrov, a quand à lui laissé entendre que la Russie pourrait participer à la construction d'infrastructures électriques qui, une fois achevées, permettrait d'alimenter le Pakistan, confronté à une pénurie d'énergie, avec les surplus produits par le Tadjikistan. (Un autre article détaillant les projets chinois en la matière est disponible ici).

La route des Indes, encore et toujours?

Ce projet qui semble avoir l'appui de la Russie ignore le territoire chinois, ce qui nous rappelle que les deux « partenaires » fondateurs de l'OCS entretiennent une relation de plus en plus difficile. En effet, vue de Moscou, la Chine est utile pour faire contrepoids à Washington. Mais la montée en puissance de l'Armée Populaire de Libération et de l'industrie militaire chinoise, combinée aux ambitions (et aux avancées) de moins en moins masquées de la République Populaire dans l'Asie Centrale ex-soviétique font grincer des dents au Kremlin. De son côté, l'Inde, rival tout désigné de l'Empire du Milieu, entretient depuis longtemps de bonnes relations avec Moscou et équipe son armée avec du matérielle russe. Challenger du puissant adversaire de Moscou, aujourd'hui en retard pour ce qui est du développement industriel et de la recherche de matières premières à l'étranger (la Chine mène largement dans ce domaine), New Dehli peut cependant compter sur une population relativement jeune, qui contraste avec un relatif vieillissement chinois. Le calcul de la Russie de se rapprocher de l'Inde notamment par la coopération militaire est visiblement pensé à l'aune de ces réalités.

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