mardi 18 mai 2010

La logistique soviétique en Afghanistan: retour d'expérience

Scène tirée du film "9 Рота"

Si l'Afghanistan a été envahi de nombreuses fois, il n'a cependant jamais été entièrement conquis, car une force d'occupation ne peut s'y maintenir bien longtemps. En cause, les problèmes de ravitaillement, auxquels les soviétiques n'ont pas échappé pendant leurs dix années de guerre au « Royaume de l'Insolence ». Durement mise à l'épreuve, la logistique soviétique s'est pourtant adaptée dans la mesure du possible, comme la 40ème armée dans son ensemble.

Limites et mutations de l'organisation du soutien logistique

Dès le début du conflit, l'organisation de la logistique soviétique conçue en vue d'un conflit d'envergure contre l'OTAN ou la Chine, s'avère inadaptée à un conflit qui, malgré la proximité géographique de l'URSS, relève plus d'une logique de corps expéditionnaire que de celle des gros bataillons. L'organisation pyramidale très hiérarchisée conçue pour offrir une bonne réactivité opérative s'avère trop rigide au niveau tactique. Ordres et matériels se déplacent le plus entre différents niveaux hiérarchiques et non horizontalement.

D'autres éléments ont également handicapé la logistique soviétique: les unités initialement déployées n'emportaient pas assez de ravitaillement et pièces de rechange des et les priorités d'allocation des capacités de transport ne correspondaient pas aux besoins réels (priorité aux missiles et munitions sur les provisions, le carburant et les fournitures médicales).

Désengorger et protéger les routes

Les soviétiques n'envisageaient pas de se maintenir longtemps en Afghanistan. Ils ont donc initialement organisé le ravitaillement de leurs troupes depuis l'URSS sans construire de base de soutien d'envergure dans le pays. Lorsqu'il est devenu clair que l'Armée Rouge devrait y rester longtemps, cette dernière a construit plusieurs centres de ravitaillement (Herat, Pol-e-Khormi) et de réparations (Herat, Jalalabad) pour soulager ceux de Kaboul. D'autres infrastructures de moindre envergure ont également été construites le long des axes. Parallèlement, le génie soviétique a mis en place (avec il est vrai un succès mitigé) un réseau de pipelines courant le long des routes afin de réduire le trafic des camions-citernes, cibles faciles pour les insurgés.
Carte du réseau routier afghan et position des principales bases de soutien soviétiques.
Source: Magasine Army, Janvier 1988

Enfin, pour protéger ce vaste réseau, l'Armée Rouge a construit de nombreux fortins (généralement à proximité des infrastructures stratégiques, comme le tunnel de Salang), protégés par des champs de mines, abritant des garnison et parfois de l'artillerie. Toutes ces mesures n'ont cependant pas suffi à désengorger et à protéger un réseau de communication peu développé, d'où l'impératif de protection des convois.

La protection des convois par des éléments mobiles.

La défense des flux logistiques s'est avérée à la fois indispensable (les embuscades se soldant par la perte de matériel parfois au profit des insurgés et la perturbation du ravitaillement) et fortement consommatrice d'effectifs tout au long du conflit. Remarquons qu'en plus des 110.000 hommes du corps expéditionnaire, la logistique soviétique a du soutenir à la fois les forces de sécurité de la République Démocratique d'Afghanistan ainsi qu'une partie de la population du pays.

Des patrouilles circulaient nuit et jour à la recherche d'insurgés embusqués, de mines, d'obstacles ou encore de lieux propices à des embuscades. Par ailleurs, un détachement était chargé d'ouvrir la route en déblayant,  réparant, et si besoin en déminant la voie (à l'aide de détecteurs manuels ou de chiens là où les engins de déminage ne pouvaient passer). Cependant, les convois devaient malgré tout assurer leur propre défense, d'autant plus que les troupes de envoyées pour répondre à une embuscade étaient souvent prises à partie à leur tour.

A cause des risques, les convois circulaient de jour et avançaient au rythme imposé par l'élément d'ouverture d'itinéraire (ce qui explique la durée des trajets) . Les chances de survie d'un convoi étant proportionnelles à sa taille, ces derniers regroupaient la plupart du temps plusieurs centaines de véhicules, escortés par des troupes placé en tête, milieu et fin de file. En raison de l'étroitesse des axes, les éléments de protection ne pouvaient pas remonter ou descendre rapidement la colonne afin de porter assistance à une partie du convoi attaquée. La fréquence des goulets d'étranglements (faciles à bloquer en réduisant un véhicule à l'état d'épave sur la route) est parfaitement illustrée par la catastrophe du tunnel de Salang en 1982 (un incendie accidentellement provoqué  éclate dans le tunnel, fait de nombreux morts et coupe durablement l'axe).

Le train au feu

Le fait que les convois deviennent des cibles prioritaires a poussé l'Armée Rouge à durcir sa composante soutien. Traditionnellement, les unités logistiques étaient composées de conscrits et de réservistes, insuffisamment entraînés et incapables de conduire efficacement les camions lourds Kamaz utilisés en Afghanistan (plus robustes mais moins maniables que les véhicules réglementaires). Conducteurs et troupes des convois devaient par ailleurs être capables de tirer à l'arme automatique en mouvement depuis leurs cabines, ou d'utiliser les canons antiaériens ZU-23. Cela a conduit à verser dans ces unités des troupes aguerries.
Les attaques incessantes rendaient extrêmement éprouvante la tâche des convoyeurs, réparateurs et trubashis chargés de la pose et de l'entretien des pipelines, et il n'étaient pas rare que ces derniers travaillent sous le feu ennemi. Ces unités ont donc fini par gagner un prestige auquel la guerre conventionnelle ne les destinait pas, comme en témoigne l'apparition de décorations récompensant les hauts faits de la guerre des convois.

L'arme aérienne

La saturation des voies terrestres a poussé les soviétiques à utiliser de plus en plus la voie des airs pour acheminer du matériel sur le théâtre, ravitailler les garnisons isolées ou évacuer les blessés. La Guerre d'Afghanistan a été l'heure de gloire de l'hélicoptère, malgré des capacités de transport 25% inférieures à la norme (en raison de l'altitude et du climat). Les hélicoptères russes, en particulier ceux de transport lourd (comme le Mi 26) sont vite devenus les bêtes de somme de la logistique aéroportée. Parallèlement, les hélicoptères d'attaque Mi 24 ont été intensivement employés pour des missions d'appui-feu et de protection des convois, malgré le danger posé par les tirs insurgés depuis les crêtes dans les rotors.

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