mercredi 12 mai 2010

Route de la Soie et "collier de perles": implications des ambitions chinoises pour le transport en Eurasie.



L'attention renouvelée portée à l'Asie Centrale suite à l'ouverture de routes logistiques à destination de l'Afghanistan et à l'avancée chinoise dans la région laisse entrevoir la réouverture de la Route de la Soie. En effet, de nombreux projets visent actuellement à moderniser et développer les réseaux ferroviaires et routiers à des fins commerciales. Cependant, il ne faut pas s'attendre, même à terme, à une réorientation massive du commerce maritime au bénéfice de la région. Analyse.

L'Asie Centrale, un itinéraire aux multiples obstacles.

De nombreux facteurs purement anthropiques empêchent aujourd'hui le développement du commerce en Asie Centrale. D'une part, les différents États de la région sont régulièrement impliqués dans des disputes de frontières dont les échanges commerciaux font souvent les frais. D'autre part, le manque d'harmonisation réglementaire et l'insistance des différentes républiques à développer des réseaux de transports sur une base nationale et non régionale complique également les choses. L'incertitude qui en résulte (le coût et la durée du transport de marchandises peuvent connaître des variations très importantes), associée à d'autres problèmes , compromet grandement le développement des échanges dans la région.

Même dans l'hypothèse (aujourd'hui très improbable) où les entraves d'origine politique ou réglementaire seraient levées, de nombreuses contraintes physiques empêchent le transport de volumes très importants par l'Asie Centrale. Tout d'abord, la différence d'écartement des rails entre l'ex-URSS et les pays voisins oblige à une procédure longue et complexe aux frontières. Ensuite, les infrastructures routières, quoiqu'aujourd'hui sous-utilisées, ne sont pas conçues pour supporter un trafic intensif en termes de poids et de fréquence. De plus, ces réseaux construits à l'époque soviétique sont adaptés à l'ancienne division du travail entre les différentes régions de l'URSS, mais pas aux exigences du transport transcontinental (la plupart des lignes  vont du Nord au Sud, et non d'Est en Ouest). Enfin, le terrain et les intempéries sont extrêmement contraignants, en particulier dans les régions montagneuses à proximité du sous-continent indien. Les cols sont autant de goulets d'étranglement, parfois fermés par des avalanches, des éboulements ou simplement les chutes de neige pendant l'hiver.



Les mers ont encore le vent en poupe.

Les routes maritimes actuellement exploitées se prêtent beaucoup mieux que la voie terrestre au commerce de masse. En effet, les contraintes en termes de volumes sont nettement moindres sur les océans, où il est possible de faire naviguer des bâtiments chargés de centaines de containers. De plus, ces routes desservent des marchés plus importants que l'Asie Centrale (Inde et Golfe persique) ce qui permet d'importantes économies d'échelle qui favorisent les voies maritimes pour ce qui est du commerce de biens bon marché. Un porte-container partant de Chine peut ainsi débarquer une partie de sa cargaison en Inde, y embarquer un chargement équivalent en termes de volume avant de faire route vers l'Europe.

La politique suivie par la Chine en la matière confirme cette prédominance des voies maritimes. Pékin a ainsi tissé un vaste réseau d'accords visant à sécuriser ses principales voies d'approvisionnement dans l'Océan indien. Cette expansion de l'influence chinoise prend la forme de la construction de ports en eau profonde au Myanmar, au Bengladesh et à Gwadar (Pakistan) pour ne citer qu'eux, capables d'accueillir et de soutenir aussi bien navires commerciaux que bâtiments militaires. Car c'est bien la deuxième facette de l'avancée chinoise en Asie (surtout soulignée par l'Inde et les États-Unis, rivaux tout désignés de l'Empire du Milieu): ces nombreux projets de construction d'infrastructures se doublent d'une montée en puissance de la marine de guerre chinoise, qui développe ses capacités à opérer loin de la Chine continentale.

Conclusion

Avec le développement parallèle des voies terrestre et maritimes à destination de l'Europe et de ses fournisseurs d'énergie (actuels et potentiels), la Chine garde en main plusieurs cartes. Consciente de la vulnérabilité de son commerce en cas de confrontation majeure (en particulier avec les États-Unis), elle cherche à protéger le cordon ombilical qui la relie au Golfe Persique, qui concentre l'essentiel des réserves énergétiques mondiales. Mais elle sécurise également un itinéraire qui sert à affirmer son influence économique sur l'Asie Centrale et pourrait, le cas échéant, se substituer partiellement aux routes maritimes menacées, d'autant plus que la région demeure relativement à l'abri d'une action d'envergure de ses adversaires (malgré ses bases en Asie Centrale, l'OTAN reste malgré tout confrontée à d'importants problèmes en matière de logistique).

Pour ce qui est purement du domaine des transports, on peut dresser un parallèle entre le couloir eurasien et la route de l'arctique. Itinéraires certes prometteurs, ils n'en sont pas moins condamnés à ne faire transiter qu'un volume réduit de marchandises. Il est donc probable qu'à moyen terme, les infrastructures de transport existantes et à venir dans la région servent essentiellement au commerce bilatéral entre l'Asie Centrale (exportatrice d'hydrocarbures et autres matières premières) et ses voisins. Dans une certaine mesure, on peut imaginer que les lignes entre Chine et Europe soient utilisées pour le transport de marchandises à forte valeur ajoutée, le transport terrestre devenant alors une solution médiane entre la voie des airs (rapide mais coûteuse) et des océans (moins onéreuse mais plus longue). Ce serait en quelques sortes un retour de la Route de la Soie à sa fonction historique, à savoir l'échange transcontinental de marchandises précieuses (gemmes, soie, épices, etc...).

Note: merci à Romain Leconte pour son aide précieuse en ce qui concerne les ambitions maritimes de la Chine.

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