mercredi 26 mai 2010

Le vent tourne-t-il en Ouzbékistan?

Samarkand, Ouzbékistan

État le plus peuplé d'Asie Centrale, l'Ouzbékistan est aujourd'hui dans une situation inconfortable. Secoué par la crise économique mondiale, sans ressources énergétiques conséquentes pour renflouer ses réserves de change, il est en plus menacé par la propagation de l'instabilité au Kirghizistan et par de nombreux problèmes internes.

La question économique

On pourrait penser que l'Ouzbékistan n'est pas un cas désespéré: il vient en effet d'obtenir un prêt de 1,15 milliards de dollars de la Banque Asiatique de Développement, soit à peu près le total cumulé déjà accordé au pays depuis 1996. Cependant, si cet argent frais vient à point pour soulager un budget de plus en plus contraint, le prêt n'a été consenti que suite à quelques concessions douloureuses (facteurs potentiels d'instabilité), et il ne permet pas en soi de résoudre des problèmes économiques plus profondément ancrés.

Ces derniers mois, l'Ouzbékistan a pris plusieurs mesures visant à améliorer sa situation budgétaire: il a entrepris de réduire les dépenses relatives aux pensions d'invalidité, accru les taxes sur l'essence, le gaz et les voitures et réduit la rémunération des dépôts privés dans les banques publiques (mesure qui touche les petits épargnants). Parallèlement, la monnaie nationale perd de plus en plus rapidement de sa valeur, alors même que le taux officiel est de plus en plus surévalué par rapport à celui en vigueur sur le marché noir. Voilà qui semble montrer que les réserves de change du pays sont à sec...

Le fait que l'État Ouzbek soit à ce point dans le rouge pourrait sinon expliquer certains évènements récents, du moins alimenter certaines rumeurs tenant lieu d'explications. Par exemple, certains affirment déjà que la vague d'arrestations qui a touché l'oligarchie locale en mars 2010 serait simplement un moyen de renflouer les finances publiques. Il en va de même pour les problèmes qui touchent aujourd'hui Zeromax, principale compagnie privée d'Ouzbékistan, dont on dit qu'elle est entre les mains de Gulnara Karimova, fille aînée et ambassadrice de son président de père à Madrid (bien qu'il semble que les poursuites en question aient des origines plus politiques que purement budgétaires). Enfin, la mystérieuse disparition des économies de centaines d'épargnants à une succursale de la Banque Nationale d'Ouzbékistan pourrait donner du crédit (sans mauvais jeu de mot) aux rumeurs selon lesquelles le gouvernement vole ses propres citoyens pour se renflouer.

Instabilité croissante

La situation économique en constante détérioration n'est pas pour rien dans l'exaspération croissante de la population. Lourdement taxée, très affectée par la crise et souffrant depuis déjà longtemps d'un verrouillage total du système politique et de sérieux problèmes environnementaux, la population ouzbèke a également du faire face ces derniers mois aux arriérés de salaires, à la malnutrition, ainsi qu'à des fléaux devenus communs dans la région (dont les coupures de courant régulières et les infections nosocomiales dues à un système de santé défaillant). Enfin, il semblerait également que le gouvernement ouzbek ait entrepris une campagne de stérilisation forcée (ou pour le moins à l'insu des principales intéressées) afin de lutter contre la surpopulation. Qu'elles soient fondées ou non, ces rumeurs ne font qu'alimenter un mécontentement toujours croissant à l'égard du gouvernement, qui est lui-même de plus en plus préoccupé par les risques de propagation de l'instabilité depuis le Kirghizistan. En effet, la révolte d'Andijan (écrasée dans un bain de sang en 2005) était intervenue quelques semaines après la "Révolution des Tulipes", et même si la violence de la répression passée semble encore assurer le calme en Ouzbékistan, il n'est pas impossible qu'une instabilité prolongé dans les parties kirghizes de la vallée du Ferghana ne déborde sur ses voisins.

Jeu de chaises musicales à Madrid et à Tachkent?

Dans ce contexte peu réjouissant, il ne faut pas séparer les problèmes de Zeromax avec la justice du jeu politique ouzbek. Gulnara Karimova, longtemps considérée comme héritière désignée de Karimov père, pourrait bien ne plus être désormais dans la course à la succession. Considérée comme une personnalité controversée, et donc pas à même de faire consensus entre les clans du système politique ouzbek, elle a en plus le malheur d'être une femme, ce qui veut dire qu'elle aurait toutes les peines du monde à se maintenir au pouvoir bien longtemps étant donné les traditions patriarcales de l'Ouzbékistan islamique...

Il n'est pas impossible que Gulnara elle-même souhaite retirer ses billes de la lutte pour la succession de son père, considérant qu'elle est satisfaite par sa situation actuelle plutôt confortable, mais cela n'a que peu d'importance au final. Il serait en revanche plus intéressant de savoir si cette mise à l'écart apparente est du goût de Karimov père. En effet, la dégradation de la situation dans le pays pourrait à la fois avoir suffisamment affaibli le clan du président actuel pour permettre à des rivaux de passer à l'action, tandis que la peur de voir le pays basculer dans le chaos tomber dans les bras des islamistes du Hizb-ut-tahrir aurait fourni à des comploteurs récalcitrants une incitation supplémentaire à agir. Si tel était le cas, les soucis de Zeromax pourraient bien être le début de la chute des Karimov...

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