mercredi 3 novembre 2010

Afghanistan : bientôt un passage de témoin?


 Les derniers survivants du corps expéditionnaires d'Afghanistan à la bataille de Gandamak, en 1842


Il est aujourd'hui de notoriété publique que l'Afghanistan a été au centre de luttes d'influence entre empires rivaux avant même sa constitution en État sous l'impulsion d'Ahmad Shah Durrani. Tour à tour contesté par la Perse et les Moghols, puis par les Britanniques et les Russes, le « Royaume de l'Insolence » se trouve une fois de plus dans le collimateurs des puissances régionales et mondiales. A l'heure actuelle, outre ses voisins aux appétits plus ou moins avoués (Pakistan et Iran), on compte la Russie, la Chine et l'Inde sur le banc des candidats à la suzeraineté sur le Yaghestan.

L'Afghanistan, fossoyeur des Empires.

L'agitation du Royaume de l'insolence a tour à tour provoqué l'affaiblissement de l'Empire Moghol et de l'URSS, et il semble que l'échec de l'OTAN et des États-Unis à pacifier le pays coïncide avec le crépuscule de la puissance planétaire de ces derniers. Incapables d'obtenir un succès rapide, pressés par leurs opinions publiques, les États Occidentaux sont aujourd'hui sur le départ après neuf années de présence.

La situation sur place n'est en effet pas reluisante. Malgré les moyens engagés, (le fameux surge afghan décrété par le président Obama), la situation ne s'améliore pas de manière visible. A cela s'ajoute la coopération plus qu'aléatoire des États voisins. Au nord, les douanes ouzbèkes se montrent tatillonnes, bloquant parfois les convois de ravitaillement de la coalition pendant plusieurs mois, tandis que l'instabilité grandissante au Tadjikistan et au Kirghizistan menace la sécurité des flux logistiques de l'OTAN. Au Sud, l'Iran prépare le départ des américains en se constituant à coup de subsides un vaste réseau d'obligés aussi bien au sein du gouvernement que de l'insurrection, et le Pakistan continue d'entretenir des relations troubles avec les Taliban.

Pressés de quitter ce « royaume de l'insolence » qui refuse de se soumettre à eux comme ils le firent face à l'Armée Rouge, les pays de l'OTAN doivent encore trouver un moyen d'éviter la réapparition de sanctuaires jihadistes dans le pays. Ils doivent donc passer le témoin à une ou plusieurs puissances capables de donner au chaos afghan un semblant de stabilité.


L'Hindou Kouch : un ancien échiquier pour un nouveau « tournoi des ombres »

Le Royaume de l'Insolence ne déroge pas aujourd'hui à la règle qui veut qu'il ait toujours été soumis aux influences de ses puissants voisins. En fait, la plupart des États riverains ou des puissances régionales ont des intérêts dans le pays. La Russie, absente depuis le départ du dernier soldat soviétique en 1989, est aujourd'hui poussée à réinvestir l'Afghanistan de peur qu'il ne serve de base aux islamistes pour embraser l'Asie Centrale et les régions musulmanes de Russie, ainsi que pour tarir les flots d'héroïne qui transitent chaque jour par son territoire avec les conséquences que l'on sait. La Chine souhaite également empêcher le chaos de se propager à sa périphérie musulmane du Sin Kiang, tout en valorisant à son profit les ressources minières d'Afghanistan par l'ouverture de mines comme celle d'Aynak et la construction (en projet) d'infrastructures de transport dans le nord du pays. L'Inde, enfin, a profité de la chute des Taliban pour s'investir dans les domaines tel que l'assistance humanitaire et la formation des forces de sécurité afghanes, ceci au grand dam d'Islamabad qui voit sa « profondeur stratégique » entamée par son ennemie mortelle.

Par ailleurs, les puissances régionales ont pour le pays leur propre agenda. L'Iran prépare activement son retour en Afghanistan en tissant des liens avec un maximum d'acteurs, au sein du gouvernement comme de l'insurrection, qui seront en temps voulu autant de relais d'influence ou de nuisances potentielles. Le Pakistan, qui ne fait pas mystère de sa volonté de peser sur le destin de l'Afghanistan, entretient lui aussi des liens troubles avec les Taliban afghans par l'intermédiaire de certains secteurs de l'ISI.

A l'heure actuelle, la Russie semble être la mieux placée pour être adoubée par les pays de l'OTAN sur le départ, même si elle monnaye âprement sa coopération contre des concessions dans d'autres régions du monde (Europe de l'Est et Caucase notamment). Elle autorise déjà le passage du ravitaillement non-létal de l'ISAF par son territoire et celui des ex-républiques soviétiques d'Asie Centrale. Par ailleurs, face aux risques de déstabilisation durable de la région, elle s'est investi de manière croissante dans les efforts de développement et de sécurisation de l'Afghanistan (vente d'hélicoptères et formation de personnels, réfection d'infrastructures construites par les soviétiques, et enfin participation directe à certaines opérations antidrogue). Fait nouveau, le Kazakhstan semble lui aussi se préparer à un rôle accru sur la scène afghane. Le pays, qui dédie depuis peu d'importantes sommes à la mise en place de programmes de scolarisation, vient d'acquérir de nombreuses locomotives qui pourraient un jour servir à transporter marchandises civiles et militaires à un gouvernement afghan en butte à une insurrection jihadiste (quelque chose rendu aujourd'hui possible grâce au raccordement récent de Mazar-e-Sharif au réseau ferré de l'ex-URSS). Cependant, vu les moyens dont dispose aujourd'hui la Russie et le traumatisme causé par son intervention dans le pays il y a trente ans, une présence militaire directe est hors de question. Cela implique à la fois le recours à des intermédiaires et que le pays soit un territoire disputé entre plusieurs puissances cherchant à étendre leur influence.


L'Afghanistan, le nouveau « Grand Jeu » et le réveil de l'Asie

Les principaux participants du « Grand Jeu » qui se déroule aujourd'hui en Afghanistan figurent parmi les protagonistes majeurs de la redéfinition des grands équilibres géopolitiques en Asie et dans le monde. La Chine et l'Inde en particulier s'affrontent ici comme ailleurs. Mais par le jeu des alliances, cette rivalité implique également les États-Unis, la Russie et le Japon, tous trois amenés à soutenir l'Inde à divers degrés en raison des craintes provoquées par la montée en puissance spectaculaire de la Chine populaire, tant du point de vue économique que militaire.

La Chine peut aujourd'hui se considérer comme une puissance globale. Alors que son PIB rattrape progressivement celui des États-Unis, elle est depuis peu le plus important consommateur d'énergie sur la planète, et affirme de manière croissante son emprise sur les matières premières indispensables à l'affirmation de sa suprématie. Les États-Unis, haegemon en titre sur le déclin, ne voient pas cette tendance d'un bon œil et ne se sont pas privés de faire part de leurs inquiétudes face à une Chine toujours plus agressive et sûre d'elle. Washington a donc entrepris de rallier les pays d'Asie du Sud-Est, préoccupés par la puissance grandissante de Pékin et passablement exaspérés par l'impact de la gestion chinoise de l'eau sur le débit des grands fleuves d'Asie du Sud-Est. Parallèlement, les USA ont entrepris le renforcement de leurs positions en Océanie (construction d'une base navale à Guam, censée remplacer celle d'Okinawa qui devra bientôt être évacuée sous la pression du Japon).

L'Inde, l'autre géant asiatique, se sent également menacée par un encerclement tant naval (le fameux collier de perles) que terrestre (militarisation de l'Himalaya). Pour faire face à une menace chinoise ressentie de plus en plus fort, l'Inde a noué des alliances avec d'autres puissances inquiètes de la montée en puissance de la Chine. Le Japon, longtemps indisposé par la prolifération nucléaire indienne, s'est récemment rapproché de New Delhi, un mouvement qui devrait se poursuivre après la récente controverse autour des îles Senkaku. Rappelons que la Chine a en cette occasion brièvement coupé l'approvisionnement du Japon en terres rares indispensables à la réalisation de matériel électronique de pointe dont l'archipel s'est fait une spécialité. Enfin, l'Inde dépense aujourd'hui des sommes importantes pour moderniser son outil militaire, se fournissant à la fois auprès de la Russie et des pays de l'OTAN.

La Russie, proche allié de l'Inde depuis l'époque soviétique et principal pourvoyeur d'armes du pays, se rapproche actuellement de New Delhi (la Russie a récemment participé à des manœuvres aux côtés des troupes indiennes dans l'Himalaya). Bien que Moscou soit un proche allié de Pékin (les deux pays sont membres fondateurs de l'OCS), les vues chinoises sur son pré carré d'Asie Centrale et, dans une certaine mesure, sur l'arctique, mettent mal à l'aise le Kremlin, qui ne se sent pas de taille à contrer l'appétit des « camarades chinois » dans la région. En sus de ce léger appel du pied en direction de New Dehli, la coopération accrue avec l'OTAN sur les questions liées à l'Afghanistan et à l'Iran (annulation de la vente de systèmes antiaériens perfectionnés à Téhéran) laisse entendre que Moscou cherche à multiplier les alliances de revers au cas où la Chine se montrerait trop gourmande dans les zones d'influence de Moscou.


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